Des Frigos et des bureaux

Publié le par Etienne Balmer


URBANISME. Artistes et promoteurs immobiliers : la guerre froide

 
Un terrain vague, résidu de la vaste friche industrielle de la rive gauche de la Seine (13ème arrondissement), est l’enjeu depuis cinq ans d’un bras de fer entre artistes et promoteurs de bureaux.



Faisant écho à la rue Goscinny toute proche, en bord de Seine dans le 13ème  arrondissement, le bâtiment massif des anciens entrepôts frigorifiques de la SNCF a des airs de village d’Astérix. « Les Frigos » (photo) investis par une poignée d’irréductibles artistes et autres créateurs à partir des années 1980, abritent aujourd’hui près de 90 ateliers. Tarifs de location préférentiels mis à part, des artistes y mènent une production artistique indépendante, loin des politiques culturelles de la Ville de Paris pour laquelle ils n’entendent pas servir de vitrine. En quelques années, ce lieu de création artistique de renommée internationale s’est retrouvé cerné par des tours de verre sans âme de grandes sociétés tertiaires. Aujourd’hui, un dernier no man’s land subsiste entre les Frigos et les bureaux, faisant l’objet de toutes les convoitises.
 

La concertation citoyenne au sujet de l’avenir de « l’îlot M1D », le terrain vague mitoyen des Frigos, est menée par la SEMAPA*, la société d’économie mixte chargée de concevoir et de planifier les projets urbains de la zone d’aménagement concertée (ZAC) de Paris Rive Gauche. La SEMAPA prévoit d’installer un nouveau pôle tertiaire sur le site, suscitant colère et appréhension chez les artistes riverains. Regroupés autour d’APLD 91, une association qui se veut partie prenante pour le devenir et l’environnement des Frigos, certains artistes sont de tous les combats contre la fièvre d’urbanisme qui frappe le quartier depuis dix ans. Le terrain voisin des Frigos n’est que leur dernière bataille en date. 


Le risque du « contrôle institutionnel »
 
 
« La mixité des activités, c’est intéressant dans la ville. Aussi avons-nous souhaité un projet alternatif sur le terrain voisin, pour atténuer la tertiarisation effrénée du quartier », explique Claire d’Albis, artiste peintre et secrétaire de l’association APLD 91. Deux friches culturelles voisines des Frigos, Mitjavile et Maison Rouge, ont disparu en 1997. Les Frigos réclamaient depuis la restitution de la surface des ateliers détruits. En 2005, l’association obtient une promesse de la Ville de Paris de consacrer 4000 m2 de la future construction aux artistes. Un premier projet de bureaux, dit plan Berger, échoue la même année. Proposés en juillet dernier par la SEMAPA, les nouveaux plans de l’architecte Francis Soler respectent la superficie prévue pour les futurs lieux de création. Ces derniers représentent cependant moins d’un tiers de la surface totale du projet, qui maintient l’accent sur les bureaux et les commerces. Si Claire d’Albis reconnaît que la nouvelle maquette est moins oppressante et qu’elle préserve la visibilité et la luminosité des Frigos, l’artiste peintre regrette que la gestion des futurs ateliers n’échappe pas au « contrôle institutionnel », et que le futur bâtiment réserve encore trop d’espace à des bureaux. « On nous explique que pour des raisons financières, l’îlot M1D doit être rentabilisé par des bureaux. Mais le site ne peut-être rendu responsable du déficit financier de la zone », dénonce l’association sur son site Internet. 
 

Michel Dresch, directeur général de la SEMAPA, voit les choses autrement. Les bureaux seraient la contrepartie nécessaire de rentabilité pour les futurs ateliers de création. « Si nous abandonnions les bureaux, le projet serait déficitaire de 20 millions d’euros », déclare-t-il. Le cahier des charges du site implique des loyers modérés pour les futurs ateliers (à hauteur de 100 euros par an le m2, contre 450 euros en moyenne pour des bureaux, hors charges foncières).

 

Le manque à gagner est donc bien réel pour la SEMAPA. Mais selon Claire d’Albis, une livraison en béton brut suffirait pour les artistes, qui aménageraient eux-mêmes leur espace de travail, limitant ainsi les frais de construction. Le permis de construire va être prochainement déposé. M. Dresch se prépare d’ores et déjà à un recours en justice de la part des Frigos. Dans ce cas, il reviendra au juge administratif de dire le fin mot de l’histoire. Contrairement aux albums d’Astérix, cette dernière pourrait bien ne pas se terminer par un banquet convivial.

 

* SEMAPA : Société d’économie mixte d’aménagement de Paris, constituée en 1985. Son conseil d’administration réunit La Ville de Paris (actionnaire majoritaire avec 57% du capital), la SNCF (20%), la RIVP (10%), l’Etat (5%), la Région Ile-de-France (5%) et divers partenaires privés (3%). 

 
 

 
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G
Le batiment à construire sur le lot M1D pourrait réserver un volume destiné à présenter au public la locomotive à vapeur TY2 -993 offerte par les chemins de fer du sud de la Pologne à la ville de Paris et qui est emmurée dans les Frigos ,depuis son arrivée à Paris en juin 1994 
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