Pascal Maître, au-delà des clichés

Publié le par Etienne Balmer

Loin des idées reçues sur le photo-journaliste hâbleur et tête brûlée, Pascal Maître livre une approche fondamentalement humaine de son métier.
 
Difficile exercice que d’être un grand photographe libéré des mythes de la profession. Pourtant, Pascal Maître semble être un de ceux-là. Quelqu’un qui raconte ses photos sans emphase ni arrogance. Avec des gestes calmes et des mots simples, une voix douce et un ton pédagogue que l’on attendrait plutôt chez un psy. Ces qualités ne sont peut-être pas si surprenantes pour un homme qui a étudié la psychologie avant d’embrasser la photographie, sa passion première, « parce qu’il n’y avait que ça qui m’intéressait vraiment ».
Pascal Maître place les relations humaines au cœur de son métier, comme en psychologie. Car une photo, c’est bien plus qu’un instantané sur une surface lisse. « Prendre une photo, c’est du donnant-donnant ». Parvenir à saisir l’humanité exige bien plus qu’un clic sur le déclencheur de son appareil. Pascal Maître accepte rarement des reportages de moins de trois semaines, lui qui a coutume de penser « qu’en 15 jours, on ne prend que deux ou trois bonnes photos ». Sur 4000 négatifs, il en proposera moins d’une centaine aux magazines et à son agence Cosmos.
 
Après avoir fait ses classes à Jeune Afrique puis à l’agence Gamma dans les années 80, Pascal Maître est devenu un professionnel indépendant. Chaque reportage lui demande deux à trois semaines de « préparation ». Il insiste beaucoup sur le terme. Il se nourrit de toutes sortes de lectures sur l’endroit où il va se rendre, il avale les photoreportages précédents, et surtout, il prend le maximum de contacts sur place : ONG, collègues photographes, journalistes locaux, tous ceux qui peuvent l’aider à tisser son réseau de relations sur le terrain. Souvent, il faut recruter un « fixeur », une personne de confiance qui servira d’interprète et de négociateur. C’est ce personnage-clé qui se charge invariablement de trouver un hébergement sûr, de recruter au besoin des gardes du corps pour la durée du reportage.
 
« Le terrain est de plus en plus difficile. Les gens sont partout au fait de la politique internationale. Les journalistes et les photographes occidentaux peuvent être pris à partie dans les crises », reconnaît-il. Parfois, l’un ou l’une de ses collègues le paie de sa vie. Pascal Maître avoue avoir un rapport particulier avec la peur. « Il y a des jours où l’on est inconscient ». Il l’a ressentie alors qu’il était traqué par des hommes en armes en Haïti, ou en Afghanistan lorsqu’une foule excitée par un prêche haineux s’est retournée contre son lui. Malgré tous les malheurs auxquels il a assisté et qu’il a parfois saisis sur le vif avec son fidèle Leika, Pascal Maître est frappé de voir que la vie et les affaires ne s’arrêtent jamais, même dans les lieux les plus abandonnés à leur misère. Frappé aussi de constater que, comme la violence, la bonté des hommes est sans limites. Il songe au sourire éclatant de cet homme croisé au Mozambique au début des années 80, le sexe mutilé par des miliciens. Ou à cette chanteuse magnifique entendue dans un bar miteux en Somalie, au milieu des kalachnikovs. « On crée des liens forts sur place, et puis soudain on laisse les gens derrière, c’est ça le plus dur », confie le photographe.
 
« Je vois en couleurs »
 
De retour à Issy-les-Moulineaux où il habite entre deux avions à prendre, Pascal Maître est un autre. Il se dit atteint de « dégoût physique » face à la profusion des supermarchés. S’il vend ses photos, il garde en lui-même les images de ses voyages. Ses deux enfants ne s’intéressent pas à ses diapositives. Il a peu de portraits de sa famille, et, en vacances, il ne fait jamais de photos. À 51 ans, le photographe revient à demi-mot sur sa vie privée: « C’est compliqué. Je suis absent 6 ou 7 mois par an…Même si je crois que mon mode de vie est plus sain en reportage qu’à Paris, j’ai une vie cabossée ».
 
Son regard s’illumine de nouveau quand il évoque le plus grand amour de sa vie, les couleurs. « Je vois en couleurs », dit-il simplement. Il est fasciné par les contrastes, les aplats de rouge, de vert et de lumière pure, pour laquelle il se lève très tôt. Matisse, Gauguin et Van Gogh figurent parmi ses peintres préférés. Bruegel aussi, pour la composition et le grain de folie de ses scènes. Les hommes, l’espace, les couleurs : la trinité de Pascal Maître est d’une vérité éclatante, et c’est peut-être ce qui rend ses photos aussi belles.

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