Goodbye conformisme ! Willy Wolff, du Pop Art made in RDA

Publié le par Etienne Balmer

Du 10 février au 7 mai 2006, la Galerie Municipale de Dresde rend hommage à Willy Wolff, l'un des artistes les plus singuliers de la RDA.
 
"Le 100ème anniversaire de Lénine", 1970 

Du pop art made in RDA

 

Willy Wolff (1905-1985) n'a pas dû avoir la vie facile. Elève de la prestigieuse Académie des Beaux-arts de Dresde promis à un brillant avenir à la fin des années vingt, il devient sous le régime nazi tour à tour vendeur de journaux, décorateur d'intérieur puis soldat. A son retour de captivité, il retrouve sa ville natale réduite à l'état de cendres, comme la quasi-totalité de ses oeuvres de jeunesse.

La Galerie Municipale de Dresde propose une rétrospective de ses oeuvres de la maturité, réalisées dans les années de la très rigide République Démocratique Allemande (RDA). A peine la porte de l'exposition franchie, les clichés du réalisme socialiste que chacun a en tête volent cependant en éclats. On est frappé par l'individualité qui se dégage des tableaux de Wolff, leur humour et la richesse de leurs références.
 
Un jeu de cache-cache à fleur de peau
 
L'exposition a eu le bon goût de ne pas faire figurer des notes explicatives au bas des oeuvres. Elles n'auraient pas eu de sens, au propre comme au figuré. Car Willy Wolff dit tout. Et rien. L'artiste se cache tout en se mettant à nu devant le spectateur, il joue avec nous et y prend plaisir. Une jouissance irrévérencieuse envers ceux que son travail déroute et de connivence avec ceux qui parviennent à effleurer son univers. Les embûches semées dans ses oeuvres pour nous « semer » sont cependant légions. Les toiles sont truffées de trompe-l'oeil, et leurs signatures à la fois visibles et énigmatiques sont entourées de dates, de chiffres, de lettres ou de bribes de phrases. On devine que ces inscriptions, qui rappellent les slogans ornant les peintures de propagande en vogue dans Allemagne de l'Est des années soixante, contiennent une grande charge affective pour leur auteur. Wolff détourne systématiquement le style réaliste socialiste pour se l'approprier et glisser des pans de sa sensibilité. Sous l'épaisse couche de peinture du système, on découvre un homme qui affirme son existence et revendique sa différence.
 
Pince-sans-rire et touche-à-tout
 
Willy Wolff a un sens de l'humour aussi décapant que difficile d'accès, et que l'on imagine aisément peu ou mal perçu par les autorités de la RDA. Ainsi de ses séries ubuesques de parades d'allumettes ou de boutons de couture à la plume et encre de Chine. Ou de son fameux « 100ème anniversaire de Lénine », le clou de l'exposition, qui représente cent fois à l'identique le portrait sévère de Lénine, fendu par une joyeuse banderole multicolore qui évoquerait plutôt le nouvel an chinois. L'ironie de Wolff envers le régime se fera sans cesse plus mordante à la fin de sa vie - et de celle de la RDA, bien qu'encore imprévisible à l'époque - comme en témoigne son ready-made « Le travail à la campagne peut aussi être plaisant », en forme de fourche rouillée.
 
Willy Wolff est un touche-à-tout, aussi à l'aise en collage et en sculpture qu'avec l'encre de chine et la peinture à l'huile. Il l'est également par la richesse de ses références, entre ready-made à la Fernand Léger, l'onirisme de Magritte, l'héritage des aplats suprématistes ou des agencements constructivistes. L'inspiration la plus remarquable est celle du Pop Art, mouvement contemporain en effervescence de l'autre côté de l'Atlantique. Chez Wolff, le Pop Art s'invente une autre dimension, qui n'en est pas moins pertinente. Les chantres occidentaux du Pop Art étaient jeunes et entendaient vénérer la marchandisation de la société pour mieux s'en moquer. La trivialité de leurs thèmes, comme la célèbre boîte de conserve Campbell d'Andy Warhol, et le réalisme avec lequel ils les représentaient étaient autant de pieds de nez à leurs aînés qui ne juraient que par l'art abstrait ou les grands maîtres classiques. De l'autre côté du rideau de fer, l'univers de Willy Wolff fonctionnait en miroir inversé. L'artiste approchait de la soixantaine quand il s'est emparé du Pop Art, et avait déjà une solide carrière derrière lui. Le réalisme socialiste était la culture d'Etat en Allemagne de l'Est, et l'on ne pouvait songer à critiquer une société de consommation inexistante. C'est pourquoi Wolff s'inspire davantage de l'esthétique que des thèmes de prédilection du Pop Art. Ses autoportraits, ses inscriptions secrètes et sa vie quotidienne prennent lieu et place des idoles, marques et biens de consommation du Pop Art occidental. Pour le plus grand plaisir de nos yeux et de notre intellect.
 
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